Image: Chemin des Anglais, source - Randopitons
Mascareignes 2025, J+6 [FINISHER]
Avant de me lancer dans ce récit de course, je tenais à partager toute ma reconnaissance à mon copain Thib's qui a (de nouveau) fait le déplacement pour m’accompagner et m’encourager dans cette aventure. Merci à toi pour les ravitaillements et tes mots plein de réconfort et de bienveillance!
Merci également à Co pour son soutien à l’arrivée et durant l’ensemble de cette saison! Merci d'être là dans les bons et les moins bons moments. J'espère des larmes de joie pour la prochaine.
Merci à la famille et aux copains ainsi qu’à vous qui me suivez et m'encouragez à distance.
Merci aux nombreux spectateurs et bénévoles qui font que cet événement est si exceptionnel. Votre énergie est incroyable et vos encouragements font chaud au cœur.
Big up à vous qui avez été présents sur le sentier et m’avez redonné le sourire: Séb, Régis, Chris et Amandine.
Bravo aux bénévoles et à l’ensemble des coureurs!
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La Masca' 2025, une course à la mesure de mes ambitions
Sur le papier, j’aborde cette première Mascareignes de façon sereine. Je suis pleinement satisfait de ma préparation. J’ai pris beaucoup de plaisir durant toute l'année et les performances sportives sont venues récompenser mes efforts. Cette course du Grand Raid s’annonce comme “la cerise sur le gâteau”.
Avec son profil joueur (technicité importante et gros dénivelé négatif, sur un terrain que je connais presque sur le bout des orteils), je me sens confiant et en bonne forme pour rivaliser avec les meilleurs.
Annoncé dans la liste de 30 favoris, j’espère rallier la Redoute en 10 heures (à +/- 30 minutes). Et j’ai de quoi y croire puisque ma référence sur ce format n’est autre que l’Ultra Mafate trail tour - 71 km / 4600 m de dénivelé, réalisé fin 2024 avec un chrono en 9h53. Ça s’annonce nerveux et c’est tout ce que j’aime!
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Des espoirs aux désespoir, récit d’une course en trompe l’oeil
Il y a les chiffres. Les datas. Il y a le ressenti. Les émotions. Il y a les attentes. Les ambitions. Mais il y a aussi et surtout la réalité du terrain. Une réalité dure. Brutale. Et quand enfin tu crois que tu as compris quelque chose, tu te rends compte que tu te plantes. Le trail n’est clairement pas une science exacte.
Jeudi, 13h00: H-12 avant départ
Mes affaires sont prêtes. Thib's est briefé pour mes ravitaillements à la Possession et à Grande Chaloupe. Ce sera express. L’aventure peut commencer. Je retrouve Claire qui prend également le départ de la Mascareignes. Direction Saint-Denis où j’ai réservé un logement pour le week-end. Objectif de l’après-midi, se reposer. Je dîne vers 18:30 avant de me préparer et d’enfiler ce maillot vert qui me donne les premiers frissons de la journée. Entre joie et excitation. Stress et impatience. Nous laissons le confort de notre logement pour prendre le bus qui nous emmènera à Hell-Bourg. Après 2 bonnes heures de trajet, nous arrivons sur le site du départ. Il est 22:00. En sortant du bus, je suis immédiatement saisi par le froid. Premier tournant, les 3 heures d’attente vont être longues…
Minuit. Je prends ma collation avant de partir à l’échauffement. Je fais quelques exercices de mobilité pour progressivement faire monter les muscles en température. 0:40, les élites sont d’abord appelés sur la ligne de départ. Puis la vague 1. Je suis positionné en 3ème ligne. Le froid a disparu, laissant place à l’adrénaline des grands jours. Africa maloya, l'hymne du Grand Raid, se lance. Je me sens bien. Je ferme les yeux et visualise ma course. J’ai hâte d’en découdre.
PK0, 1:00: début des hostilités
Enfin! Le départ est donné dans une belle ambiance. Je débute ma course avec un premier kilomètre avalé en 3’50”. Mon plan est simple: rester un peu au-dessus de mon SV1, sans me mettre dans le rouge. Je suis entre 155 et 165 BPM. Les premières sensations sont excellentes. Je rentre vite dans mon événement. Le corps suit. Après les premiers kilomètres de route, nous entrons dans le chemin forestier et attaquons les premières pentes. Ici, pas question de dépenser trop d'énergie, je prends une marche appuyée et me laisse dépasser sans hésitation. J’aborde les sections de relances en allongeant la foulée. J’ai l’impression de survoler les premières descentes. 10 km / 530 de D+ / 440 de D- en 1 heure.
PK13, 2:30: le début de la fin
Après un bon début de course, j’attaque le pentu. Je sais que les 4 prochains kilomètres vont être lactiques avec 150 à 220 m de D+ par kilomètre. Mon rythme est régulier mais je sens que je suis “lent”. Les sensations commencent doucement à se dégrader. Je me sens d’abord très fatigué. J’ai anticipé ce coup de moins bien en prenant des gels de caféine mais un problème se pose. Je n’arrive plus rien à manger. Le froid commence à me saisir. J’ai déjà dépensé beaucoup d'énergie lors de l’attente au départ. L’arrivée à la plaine des Merles n’arrange rien. Je grelotte. Je commence à me crisper. Ma concentration et mon niveau de motivation chutent drastiquement. La première grosse montée (16 km / 1300 m de D+) est passée et j’ai un peu de retard sur mon estimation. +10 minutes. Rien de très inquiétant car je vais attaquer 1900 m de D- sur les 15 prochains kilomètres. Habituellement, je suis bon descendeur. Je connais bien le sentier. On entre dans Mafate. Sur “mon” terrain de jeu préférentiel! Mais aujourd'hui, ça déconne. Mon psoas se tend. Je commence à avoir un point de côté. J’ai le ventre noué. Pour couronner le tout, j’ai l’impression de débuter en trail. Le sentier n’est pourtant pas si technique…ça ne va pas. Je suis sur la retenue. Crispé. Le papang ne s’envolera pas dans le sentier Scout…
PK27, 5:05, 127ème: décalage Aurère et fin du suspens
J’arrive péniblement à Aurère avec plus d’une heure de retard sur mon plan. J’essaie de m’alimenter au ravitaillement, de profiter de l’ambiance et des bénévoles. La pastèque fait du bien mais je ne t’apprends rien en te disant qu’elle n’est pas très nourrissante. Je m’arrête plusieurs minutes pour (encore) enlever des cailloux dans mes chaussures. Je vois les coureurs passer devant moi. Beaucoup sont déjà bien marqués. Les rares que j’ai réussi à doubler sont ceux qui se sont fait une cheville. L’abandon est inéluctable pour eux. Pour ma part, je n’ai presque produit aucun effort. Je n’arrive simplement pas à mettre de rythme. Les jambes font déjà mal. Le ventre est toujours capricieux. Et je manque cruellement d’énergie. En même temps, si tu ne manges rien, difficile d’avancer. Je sais que la course est longue et qu’il peut se passer beaucoup de choses. Mais le constat est là. Il va falloir revoir mes objectifs. La course à la performance semble terminée pour moi. Je reprends le sentier en trottinant. La descente vers Deux-Bras se passe mieux. Le jour se lève. Je prends le temps de regarder les paysages de Mafate. C’est magnifique. C’est calme. On entend les premiers oiseaux. Le cirque se réveille doucement. J’aime ces instants privilégiés.
PK33, 5:57: remettre du sens malgré le Mur
Au ravitaillement de Deux-Bras, je retrouve Sébastien avec qui j'échange quelques mots. Il me dit que Claire est annoncée dans 15 minutes. J'hésite à l’attendre pour essayer de l’accompagner sur la seconde partie de course. Non. Je dois me fixer un autre objectif. Il va falloir puiser dans mes ressources pour trouver un déclic. Un sursaut d’orgueil. Monter le Mur en moins d’une heure! 4,5 km. 700 m de D+. Se faire mal. Retrouver un peu de détermination. Je me lance. Étonnamment, j’avance bien et j’arrive même à courir. Je commence à reprendre des coureurs. Vers la mi-montée, je retrouve Nicolas et rentre dans son rythme. Nous sommes 4 coureurs et échangeons. Ça fait du bien. Je prends un relais pour finir la montée. 1h00 sans trop forcer. Du positif! Maintenant, je vais pouvoir retrouver le chemin Ratinaud et la Kalla. J’ai en tête de courir et de relancer le plus possible. C’est compliqué mais j’avance régulièrement et la technicité du parcours fini par me réveiller. Une première glissade également.
PK50, 8:45, 70ème: un ravitaillement encourageant
En temps normal, la Kalla a déjà une belle réputation. Mais après les derniers cyclones, c’est le chantier! Je reprends quelques coureurs qui ne suivent pas mon rythme. Je reste pourtant bien en-dessous de ce que je peux produire. Les sensations ne sont toujours pas bonnes… À la Possession, je retrouve Thibault qui a compris que ça n’allait pas. Je fais le plein d’eau en prévision du Chemin des Anglais. Il fait chaud et la pierre volcanique du sentier ne va pas aider. Je me force à manger un peu mais c’est compliqué. Depuis le départ, j’ai mangé moins de 50% de mon plan nutritionnel. C’est trop peu. Je me sens désolé de ne pas y arriver. Moralement, j’en ai marre. Thibault me recentre sur une idée. Celle de m’amuser dans les cailloux. De profiter de l’ambiance du Grand Raid. Et de me focaliser sur des choses positives. Je vais essayer. En plus, devant, les gens vont tomber comme des mouches avec la chaleur. Je me lance à l’assaut de ce sentier mythique. La première longue ligne droite me fait comprendre que ça va être dur. Je suis seul. Aucun coureur devant. Derrière, j’essaie de ralentir pour attendre l’un ou l’autre. Je les encourage à emboîter le pas. Mais ça ne suit pas. L’introspection va être longue jusqu'à la Redoute. D’autant que cette partie ne présente que peu d’intérêt. Entre paysages urbains. Sentiers chaotiques. Béton. Et single perdu au milieu de la pampa. Le tout, sous une chaleur de plomb. Il y a de quoi se demander ce qu’on fait ici. Et pourquoi on le fait. Avancer. Ne pas se laisser prendre par l’envie de s'arrêter à l’ombre d’un arbre. À partir de Saint-Bernard, je rattrape Mathieu avec qui nous allons faire la montée vers le Colorado. Nous échangeons un peu. C’est tout aussi compliqué pour lui. Il fait un peu l’accordéon mais il s’accroche. Je continue donc dans mon rythme.
PK68, 11:30, 50ème: objectif moins de 11h30
On arrive ensemble au Colorado et je n’ai qu’une idée en tête: terminer au plus vite. Je me dis que je peux descendre en 45 min. Faudra se dépêcher mais le sentier est roulant jusqu'à la Vigie. Ensuite, ce sera 2 kilomètres que je ne connais pas, dans le technique. Je fonce. J’ai même l’impression de prendre du plaisir à mettre enfin de la vitesse! Finalement, la course ne sera peut-être pas assez longue…
PK72, 11h55: tu connais l’expression “en avoir plein les baskets”?
À l’entrée de la Vigie, je croise Chris et Amandine qui me font un énorme câlin et me boostent pour les derniers kilomètres. J’ai envie de m'arrêter et de profiter avec eux. Mais j'en ai plein les baskets. Il me tarde d’arriver en bas et de retrouver Coline et Thibault. Encore 650 m de D-. Le sentier est cassant. Usant moralement. Tu vois le stade en contrebas. Tu entends la musique et le speaker. La première féminine vient d’arriver. La fête est belle. Pendant ce temps, le sentier fait des zigzags à ne plus rien comprendre. J’ai l’impression de remonter au-dessus du chemin que je viens tout juste de descendre. C’est à te rendre fou. Et dire que la route est juste à côté…il faut encore faire attention à ne pas se faire une cheville dans ces derniers mètres.
PK75, 12:17, 44ème: champagne shower, game over
Fin du chantier, je retrouve la route et le dernier kilomètre avant l'entrée dans le stade de la Redoute. Co m’attend pour un ultime encouragement. Je lui propose de franchir la ligne ensemble. Histoire de me rattraper de 2023 où j’avais couru un peu trop vite pour elle…mais l’organisation nous l’interdit. Je rentre donc seul. Dans un stade vide. Il y a moins de 10 personnes à l’arrivée. Thib's est là. C’est l’essentiel! À l’image de ma course, je termine avec un sentiment étrange. Une sorte de vide.
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Une belle leçon de trail…et d’humilité
Derrière mon sourire à l’arrivée, il y a une déception. Une déception immense. Celle de n’avoir pas réussi à m’exprimer. 11h17 (dont 25 longues minutes de pause). 44ème au général et 7ème M0. Des chiffres plus que honorables mais qui ne représentent pas mon niveau d’investissement et d’engagement. Aujourd'hui, j’ai manqué de ce petit quelque chose qui fait les grands jours. Je n’ai pas su revoir mon scénario de course en m’adaptant à la difficulté de l’instant. J’ai sans doute baissé les bras un peu rapidement. Je n’ai pas eu suffisamment confiance en ma capacité à revenir. Dommage.
Je sais que ces moments font partie intégrante de l’apprentissage et que ce sport demande de la patience et de la persévérance. Je reste également convaincu que je peux faire bien mieux. Je ne lâche rien!

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